Laurent Contamin
auteur, metteur en scène, comédien
A côté, là où silencieusement ça prend corps
Espaces textuels espaces scéniques

EXTRAIT :

"En tant que metteur en scène, je travaille l’espace scénique, je crois, à l’aide d’un boomerang : certes je fais tout pour que l’espace m’aide à m’éloigner du texte, j’ai des furieuses envies de fugues, de faire le mur, de quitter la maison de l’auteur, mais c’est pour mieux y revenir. L’important, c’est le trajet ainsi parcouru par l’équipe de création. Car c’est en bonne partie ce voyage en forme de boucle qui « passera la rampe » : on ne transmet jamais que les voyages, les trajectoires. Le théâtre est un art dynamique.

Ainsi l’espace scénique serait-il peut-être le lieu dans lequel sauraient se rencontrer deux trajectoires : la première serait celle de l’écriture et de l’auteur écrivant (carnet de route, journal de bord de la naissance d’un espace textuel – on revient à la source, à la matrice même du texte). La deuxième serait le voyage vécu, au temps présent cette fois, par une communauté éphémère de gens de théâtre, artisans du mouvement, de la parole, de la lumière, de l’objet, du son, … réunis dans une écoute commune et parlant le même langage.

J’ai le sentiment que, dans un premier temps (bien avant le début des répétitions, alors même qu’on en est au stade du projet), le travail consiste à « nettoyer » mentalement l’espace ; à le « vider », pour reprendre l’expression rendue célèbre par Peter Brook. J’ai besoin d’une page blanche dans la tête. J’oublie d’autres mises en scène que j’ai vues. Je ne sais pas même où sera le public par rapport à ce qu’il verra, je me force à n’avoir aucune image, et surtout pas les premières qui me sont venues à la lecture de la pièce, alors que j’ai commencé à réfléchir, à penser, à rêver au spectacle, et ni même forcément les didascalies : après tout, l’auteur n’est pas le metteur en scène . Je ne la supprime pas pour autant, la didascalie : elle est là, comme le texte - qui est là, lui aussi, dans son potentiel d’existence. Mais je dois avouer que je ressens une certaine méfiance vis-à-vis des espaces qui veulent venir. J’ai peur que le premier langage de l’espace ne soit l’arbre qui cache la forêt. J’ai le sentiment que c’est comme la main gauche de l’illusionniste qui fait un geste soudain, pour faire diversion, pendant que, de la main droite, il prépare son tour de magie : oui, je crois que l’espace textuel immédiat cherche à m’égarer. Je préfère ne pas trop entendre ses indications." (...)

in Vives Lettres n°15 (Espaces textuels espaces scéniques), revue de l’UFR des Lettres (Université Marc Bloch de Strasbourg) « Littérature française, générale et comparée ».

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Sommaire :

Avant-propos par Geneviève Jolly, p. 7
François Bugaud, Université Strasbourg II, Espaces membranaires du théâtre, p.15
Geneviève Jolly, Université Strasbourg II, Réapprendre à voir avec la Socìetas Raffaello Sanzio, p. 45
Jean-Marie Apostolidès, metteur en scène, Standford University, La mise en tableau théâtrale, p. 63
Laurent Contamin, assistant de direction artistique du TJP (CDN d’Alsace), À côté, là où silencieusement ça prend corps, p. 79
Antoine Dervaux, scénographe, Université Strasbourg II, Du texte à l’espace, itinéraire, p. 91
Florence Baillet, Université Paris VIII, Une machine à explorer les limites : Hamlet-Machine de Heiner Müller, p. 107
Krystyna Maslowski, Université Strasbourg II, Espace rituel du jeu : Le Mariage de Witold Gombrowicz, p. 125
Françoise Heulot-Petit, Université d’Artois, L’espace « cellule » de la pièce monologuée contemporaine; p. 141
Gérard Dessons, Université Paris VIII, Le lieu dramatique : l’écoute de Maurice Maeterlinck, p. 159


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